Les jeux d’argent dans la population carcérale : Pratiques du jeu, trajectoires de joueurs, problématiques d’addiction

Abstract

La recherche exploratoire que nous avons réalisée entre septembre 2021 et mars 2023 sur les pratiques de jeux d’argent et les problématiques d’addiction au jeu dans la population carcérale française conforte les résultats des études internationales déjà menées sur le sujet : une forte prévalence des pratiques de jeux d’argent et des problématiques d’addiction au jeu chez les personnes détenues dans les établissements étudiées ; une possible relation de causalité entre les problèmes de jeu rencontrés par les personnes concernées et le motif de leur incarcération ; une persistance et une diversité des pratiques de jeux d’argent à l’intérieur de la prison malgré l’interdiction et le contrôle plus ou moins stricte dont elles font l’objet ; une dimension récréative de ces pratiques malgré des conduites à risque notamment parmi les joueurs se déclarant problématiques ; un accès au soin limitée pour des joueurs qui aimeraient obtenir un aide spécifique mais qui peuvent parfois se révéler réticents à l’idée de s’engager dans une démarche thérapeutique. Ces conclusions étaient, certes, plus ou moins attendues mais elles n’en demeurent pas moins alarmantes, tant d’un point de vue social que sanitaire. En effet, si certains joueurs ayant connu des problèmes de jeu semblent profiter de leur détention pour arrêter de jouer, voire pour se soigner quand ils en ont l’opportunité, d’autres trouvent des stratégies pour continuer de jouer entre détenus ou sur internet, soit de manière récréative soit pour subvenir à leur besoin, avec les risques que cela comporte. Surtout, on observe la trajectoire particulière d’une partie non négligeable de ces joueurs pour qui leur addiction aux jeux d’argent aurait contribué à les conduire en prison, parfois à plusieurs reprises. Si le caractère criminogène de cette addiction reste à démontrer, ne serait-ce que parce que l’établissement d’un lien de causalité entre les problèmes de jeu des joueurs concernés et leurs problèmes judiciaires dépend de la manière dont ils les perçoivent, on peut néanmoins affirmer qu’il existe effectivement un risque, pour certains joueurs dits problématiques, d’entrer dans une “carrière déviante” pouvant déboucher sur une incarcération, en sachant que ce risque dépend notamment de leurs conditions d’existence, de leur environnement social, de leur pratique du jeu et de leur trajectoire en tant que joueurs.